L’OPE Nokia Alcatel : fusion n’est pas raison
mardi 6 octobre 2015
Alcatel-Lucent a annoncé son plan de fusion avec Nokia. Alors que les marchés s'interrogent sur l'avancée technologique que pourrait apporter un nouveau groupe, la France elle s'inquiète des conséquences économiques et sociales.
Au printemps 2015, l’équipementier franco-américain Alcatel-Lucent annonçait au gouvernement de François Hollande son plan de fusion avec le Finlandais Nokia. 5 mois après, alors que les marchés s’interrogent sur l’avancée technologique que pourrait apporter un nouveau groupe, la France elle s’inquiète des conséquences économiques et sociales d’une telle opération.
Retour sur 10 années d’agitation
C’est en 2006 que le groupe Alcatel épouse l’américain Lucent, équipementier en déroute depuis la fin des années 1990. Le jeune groupe est alors promis à un avenir heureux pour ainsi faire face aux problématiques de la mondialisation, ensemble. Et c’est bien ensemble qu’Alcatel & Lucent partageront les conséquences d’une fusion dite « ratée » : enchainement de plans sociaux, actions en baisse, délocalisation, le tout sous fond de crise mondiale prolongée suite à l’éclatement de la bulle de NTIC en 2001.
Le début des années 2010 ne promet pas d’amélioration. En 2013, le groupe franco-américain voit arriver Michel Combes à sa direction et s’enchainent alors de nombreuses stratégies pour redresser cette multinational. Le plan d’urgence SHIFT, inclura en France la fermeture de 3 sites (dont Toulouse) et ventes d’autres structures sur l’Hexagone, dégageant ainsi plus de 300 millions d’euros d’économies fin 2013. Après le sauvetage de France Telecom en 2002 auprès de Thierry Breton, Combes réussi à relever son entreprise. Les efforts d’Alcatel-Lucent ne seront pour autant pas suffisant pour anticiper l’avenir sereinement.
Nokia Networks et ses nouveaux défis
Côté Europe du Nord, Nokia et Siemens fusionnent en 2007 afin de redresser les ventes de l’ancien leader finlandais de la téléphonie mobile. Si le groupe connait moins de déboires qu’Alcatel-Lucent, l’opération est néanmoins peu efficace. Nokia ne s’impose pas face aux technologies d’Apple ou Samsung. Son rapprochement avec Microsoft en 2011 laissait pourtant espérer un repositionnement sur le marché du smartphone, avec des produits plus adaptés aux pays émergeants (exemple : succès de la « dual sim » en Inde).
En juillet 2014, le CEO de Nokia, Rajeev Suri, rencontre Michel Combes afin d’entamer des discussions sur les intérêts de chacun et les défis à venir. Les conclusions sont évidentes : Alcatel-Lucent ne peut s’écarter de la faillite qui le menace depuis tant d’années et Nokia doit investir dans la recherche et développer des solutions pour reconquérir sa position de leader sur les marchés. Les activités des deux entreprises étant complémentaires, la fusion en un seul et même groupe s’impose.
Nokia demande la main d’Alcatel-Lucent le 15 avril 2015 devant un gouvernement bien obligé d’approuver ce contrat d’achat à l’amiable pour sauver ce qu’il reste du fleuron industriel français.
Nokia Alcatel Lucent : l’union fait le poids
L’offre de rachat de Nokia prévoit une opération d’échange d’actions valorisant ainsi le groupe de télécommunication franco-américain à environ 16 milliards d’euros. Samih Elhage, DAF du groupe finlandais, a annoncé vouloir lancer l’opération en janvier 2016 espérant ainsi récupérer 95% des actions d’Alcatel-Lucent.
Avant d’officialiser cette OPE, le projet d’acquisition doit encore recevoir l’approbation des autorités chinoises. La Commission européenne et les autorités américaines ont d’ores et déjà approuvé le mariage. En cas d’échec, c’est-à-dire si les actionnaires d’Alcatel refusent l’opération, Nokia s’engage à payer 150 millions d’euros au groupe franco-américain et 400 millions si ce sont les régulateurs qui refusent.
Ce risque semble pour autant limité au vu des avantages que comprend la fusion. En réunissant leurs forces, Nokia-Alcatel se placerait alors sur le marché des NTIC avec une force de frappe énorme pour investir en recherche et développement et concurrencer Ericsson et Huawei, actuels leaders sur l’Asie. Poids financier mais aussi stratégique puisque la complémentarité des activités des deux géants permettra d’avancer sur le marché du mobile, plateforme internet, compatibilité informatique ou groupe de vente.
Nokia prévoit un maintien sur deux ans de 4200 postes sur le territoire et de recruter 300 nouveaux diplômés pour développer de nouvelles technologies. La France se placerait alors comme un pôle de recherches d’excellence.
Vers un mariage équitable ?
Un mariage honnête et nécessaire selon la direction des deux groupes mais, pour certains, un mariage plus inquiétant pour le marché de l’emploi en France. Le ministre de l’Economie Emmanuel Macron s’est dit être «extrêmement vigilant quant à la préservation de l’emploi sur l’ensemble des sites productifs français ». L’exemple précédent de la fusion Alcatel et Lucent ne rassure cependant pas les syndicats, ni le FN et le parti de Jean Luc Mélenchon, qui se dressent déjà contre l’OPE.
Les mois à venir nous dirons donc si le nouveau couple Nokia-Alcatel saura s’imposer sur la scène économique et les marchés de la haute technologie, sans nuire à la « déjà pas très bonne » santé des usines françaises.
Michel Combes, acteur clé de la fusion, arrête lui l’aventure en intégrant le groupe Altice (Numericable, SFR…). Le souhait de cet autre géant des télécoms d’intégrer Bouygues dans son groupe aurait-il besoin d’un fin stratège pour être exaucé ?