Elisabeth Moreno, l’ambition du bonheur

Humaine, trop humaine ? Heureusement pour l’entreprise ! Elisabeth Moreno, PDG de Lenovo France ne s’en est jamais cachée : pour elle, le plus important dans les affaires, ce sont les gens. Rencontre avec une dirigeante pas tout à fait comme les autres.
Valérie Abrial
Elisabeth Moreno, PDG de Lenovo France : mon goût du challenge fait que je ne vois pas les obstacles. J'ai conscience des difficultés, mais pour moi, elles n'entravent pas le chemin à parcourir, elles font partie du chemin
Elisabeth Moreno, PDG de Lenovo France : "mon goût du challenge fait que je ne vois pas les obstacles. J'ai conscience des difficultés, mais pour moi, elles n'entravent pas le chemin à parcourir, elles font partie du chemin" (Crédits : Presse)

« C'est une histoire atypique ». Elisabeth Moreno, le reconnaît elle-même, son histoire n'est pas ordinaire. « Si on m'avait dit un jour, de mon petit Cap Vert natal, que j'aurais la situation professionnelle que j'aie aujourd'hui et que j'aurais la chance d'inspirer les autres... je n'y aurais pas cru ». Partie de rien, arrivée loin ? Pas vraiment le discours de la PDG de Lenovo France qui, en dépit de tout plan de carrière établi, se considère d'avantage comme une ambitieuse de la vie, du bonheur et de la joie. Car c'est cela le plus important : se sentir bien et être heureux. Des convictions qui laisseront parfois pantois ses interlocuteurs et qui lui vaudront quelques railleries comme ce collègue qui lui affirme un jour « tu ne réussiras pas dans ce milieu car tu es trop humaine ».

Ce milieu, c'est celui des affaires, pas tout à fait celui pour lequel Elisabeth se destinait. Elle qui voulait être avocate et défendre « la veuve et l'orphelin », comme elle le dit ; en tous les cas, défendre et prendre soin de tous ceux qui seraient en souffrance ou victimes d'injustices sociales. Il faut croire que les débuts dans la vie de la petite capverdienne qu'elle fut l'ont profondément marquée et sans vouloir plonger dans le pathos, les faits sont les faits, s'en accommoder et les surmonter étant souvent la seule solution.

Vivre, rien d'autre

Quand Elisabeth arrive en France avec sa famille à la fin des années 70, ce n'est pas une question de choix, mais de survie. Celle de sa petite sœur victime d'un accident domestique dont elle sortira grande brûlée. A l'époque, le Cap Vert n'a pas les infrastructures médicales pour soigner l'enfant, la France oui. Toute la famille débarque à Paris ; la petite fille malade restera deux ans à l'hôpital. Le temps pour ses parents de trouver un travail et de s'installer dans une cité.  Elisabeth a six ans ; elle est l'aînée de la fratrie, une situation qu'elle vit comme une responsabilité naturelle. « Très tôt, j'ai ressenti le besoin d'être un soutien pour ma famille. J'ai construit ma vie en ce sens, en essayant de trouver les solutions qui pourraient l'aider. D'autant plus que mes parents ne savaient pas lire ni écrire. Vous savez, j'ai finalement un parcours d'émigrée classique. Mais cela n'a jamais été un poids. Au contraire, je me suis toujours battue pour être heureuse et pour rendre les gens autour de moi heureux ». Pas étonnant qu'à la sortie d'un Bac littéraire, la jeune femme se lance dans des études de Droit avec l'envie de défendre les grandes causes. Et puis, par hasard, elle tombe dans le droit des affaires et se découvre un don et une passion, celui de résoudre les problèmes compliqués. « J'adore la complexité et faire en sorte de trouver les solutions, toujours à la marge de la notion de justice». Fan de compétition Elisabeth Moreno ? « Pas du tout ! Ce qui m'anime dans le business, c'est la créativité qui existe autour d'un projet et comment avec une équipe, nous allons construire ensemble pour atteindre l'objectif que nous nous sommes fixés. Et quand parfois, il nous est arrivé de perdre des affaires, nous avions malgré tout construit un projet dont nous pouvions être fiers. C'est juste que cette affaire n'était pas pour nous mais une opportunité pour que nous bâtissions quelque chose de plus grand encore ». Cela dit, Elisabeth Moreno n'a pas perdu beaucoup d'affaires ; bien au contraire. Entrepreneur dans l'âme, elle a surtout contribué au développement des sociétés pour lesquelles elle a collaboré.

L'humain avant tout

La première, c'était il y a un vingtaine d'années, au sortir de la fac. Une entreprise du secteur du bâtiment qu'elle a créée avec son mari. Le rôle d'Elisabeth ? Négocier les contrats et faire en sorte que le business se développe. Ce qui fut le cas ; en peu de temps l'entreprise passe de 3 à 30 collaborateurs, et compte parmi ses clients Bouygues, Alstom ou Cegelec. « J'ai toujours fait de ma différence, un atout. A l'école, j'étais la seule petite fille noire, quand j'ai démarré dans ma vie professionnelle, non seulement j'avais toujours la même couleur de peau, mais j'étais une femme, jeune qui plus est, dans un secteur ultra masculin », se souvient Elisabeth avec amusement. « Je crois en fait que je ne me suis jamais posée de questions ». Elle réfléchit quelques instants et poursuit : « mon goût du challenge fait que je ne vois pas les obstacles. J'ai conscience des difficultés, mais pour moi, elles n'entravent pas le chemin à parcourir, elles font partie du chemin. Et c'est sans doute cela qui m'anime le plus dans ma vie. Je n'ai jamais eu peur de repartir de zéro. Bien au contraire, j'aime le dépassement ». Sans doute ce dépassement de soi qui fera que la jeune femme de l'époque, accepte d'entrer chez France Telecom pour gérer les PME et PMI de la région Paris Sud ; elle qui ne connaissait rien du secteur et encore moins de la sphère publique. Mais Elisabeth apprend vite et ses talents de manager portent ses fruits. « Le plus important dans une entreprise, ce sont les gens, explique-t-elle, car sans eux, rien ne peut exister. On ne peut pas mettre le ratio économique avant les hommes et les femmes qu'ils soient employés ou clients. Si vous ne prenez pas soin des uns comme des autres, si vous ne mettez pas l'humain au cœur de l'entreprise et plus largement au cœur de nos sociétés, vous devrez faire face à des personnes démotivées et de fait, désengagées dans leur travail. Je me suis toujours battue contre cela ».

Le goût du défi

Quatre ans après son passage chez France Telecom, Elisabeth Moreno accepte un nouveau challenge et entre chez DELL, « par la petite porte » comme elle raconte. « J'y ai rencontré beaucoup de défiance au début. Forcément, je ne connaissais rien au monde de l'informatique et n'avais aucune prétention sur le sujet d'ailleurs. En revanche, je savais très bien que mon savoir-faire de manager allait permettre au groupe avec lequel j'allais travailler de se développer ». De la gestion des grands comptes, Elisabeth en prend la direction et se voit même confier la création d'un département comptes internationaux au Maroc. Entre temps, et puisque son parcours universitaire lui faisait obstacle pour avancer professionnellement, Elisabeth Moreno n'hésite pas à reprendre ses études à 35 ans et obtient un Executive MBA en 2006. « Quand on m'a fait comprendre que je n'avais pas fait le bon cursus pour avancer dans le secteur qui était maintenant le mien, j'ai décidé de retourner à l'école ». C'est aussi simple que cela, comme souvent dans les choix d'Elisabeth Moreno. Une humilité qui sera souvent remarquée.

En 2012,  Lenovo, le numéro 1mondial des PC,  cherche quelqu'un pour construire sa structure  Europe du Sud. Elisabeth Moreno accepte ce nouveau défi. Trois ans plus tard, elle devient la patronne Europe Middle Est et Afrique. En 2017, le Groupe la nomme PDG Lenovo France.

Alors, c'est vrai, quand Elisabeth Moreno regarde derrière elle, l'étonnement la saisit encore. « Je suis toujours aussi surprise par mon parcours, mais vous savez, il n'y a pas de secret : il faut saisir sa chance, la provoquer aussi et beaucoup travailler ! Je crois en la force de la vie. Ce qui m'intéresse c'est d'aller chercher le meilleur même dans le pire. Aujourd'hui, j'ai envie de transmettre cet état d'esprit ; celui des possibles même quand cela paraît irréalisable ».

Consciente du modèle inspirant qu'elle est pour les jeunes générations, Elisabeth Moreno intervient beaucoup dans les écoles des quartiers difficiles. « J'ai la légitimité pour le faire,  j'ai grandi dans une cité ; je sais parler aux jeunes des banlieues et raconter mon histoire. Je n'ai jamais perdu ce besoin que j'ai en moi, comme une mission : celle d'aider les autres ».

Elisabeth Moreno est très active dans le combat pour la mixité et intervient auprès du réseau d'entreprises Inter'Elles. Elle a également créé Lenovo All pour que la diversité soit une politique intégrée au Groupe mais également pour porter des actions bénévoles et de mécénat de compétences auprès de la société civile. « Etre utile aux plus démunis a toujours été mon leitmotiv dans la vie. Aujourd'hui, je rêve de créer ma propre fondation ». Un rêve qui pourrait bien être le prochain défi d'Elisabeth Moreno, celui de l'accomplissement des possibles.

Valérie Abrial

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