Je pénètre dans le Marlton, un restaurant près de Washington Square à Manhattan, et je me demande ce que je fais là. La femme avec laquelle je dois déjeuner, Virginia Rometty, ou “Ginni”, comme on l’appelle, est sans doute la femme chef d’entreprise la plus puissante au monde. Elle dirige IBM, une entreprise qui compte près d’un demi-million d’employés, plus que la population d’une ville comme Cleveland. Sa technologie se retrouve dans 90 % des banques du monde, 80 % des compagnies aériennes et 70 % des grands groupes. L’année dernière, elle a généré 93 milliards de dollars de revenus.
Pour résumer, elle est le chef d’une entreprise titanesque. Et les sommités américaines des affaires préfèrent généralement déjeuner dans les lieux de pouvoir comme le Four Seasons, ou alors dans leurs bureaux, avec des repas sains. Mais Ginni Rometty a choisi de me rencontrer dans ce restaurant terne et désert d’un hôtel touristique milieu de gamme, dont la peinture écaillée des tables, la musique forte et le menu modeste conviendrait au salon d’un aéroport.
Est-ce qu’elle essaie de se protéger des regards indiscrets ? Ces tables écaillées ont-elles une signification émotionnelle pour elle ? Est-ce une volonté de frugalité ? Le monde des affaires est en pleine effervescence après les rumeurs (niées) comme quoi Ginni Rometty serait sur le point de licencier 100 000 salariés dans une restructuration spectaculaire visant à remettre sur pieds ce géant de la technologie vieux de 103 ans dans un monde du cloud computing en évolution rapide. Une réunion est prévue ce mois-ci avec les investisseurs, après 11 trimestres consécutifs de baisse de revenus: en tant que Chairman et CEO, Ginni Rometty est sous le feu des projecteurs.
Je l’aperçois enfin. À une table quelconque, elle porte un tailleur crème discret mais cher, un foulard de soie, un maquillage calculé [...]